Des gladiateurs à Nyon

Les témoignages d'une lampe et d'une perle

Lampe à huile représentant des gladiateurs © Rémy Gindroz

Les amphithéâtres étaient des monuments de spectacle, souvent majestueux, dont la décoration architecturale et ornementale (statues, reliefs, placages de marbre, fresques, etc.) reflétait l’ampleur des moyens de celui qui en avait financé la construction. Ils étaient de forme ovale, pourvus de gradins, afin que les activités qui se déroulaient dans l’arène soient bien visibles de partout. Ces édifices servaient à l’organisation de spectacles bien particuliers, dont les plus connus sont les combats de gladiateurs. Celui de Nyon, dont seules l’arène et une partie des gradins sont conservées, ne faisaient sans doute pas exception, même si nous n’avons pas de témoignage direct des spectacles qui s’y sont déroulés.

A l’amphithéâtre, toutes les couches de la population se retrouvaient, même si elles étaient séparées selon leur statut social dans l’ordre des gradins. L’organisation de spectacles, gratuits pour tous, était un moyen privilégié pour les hauts dignitaires de gagner en popularité auprès de la foule et obtenir les faveurs du peuple.

Le peuple, quant à lui, se réjouissait des duels passionnants offerts par les combats de gladiateurs. C’était probablement davantage la promesse de combats spectaculaires que la soif de sang qui les attirait à l’amphithéâtre. Contrairement aux idées reçues, les combats de gladiateurs étaient soumis à des règles très strictes dont l’application était surveillée. Dans l’arène, les arbitres donnaient des sanctions à la moindre entorse au règlement. D’ailleurs, les affrontements ne se terminaient pas systématiquement par la mort du gladiateur vaincu. Dans la plupart des cas, c’était l’abandon d’un des combattants qui mettait fin au spectacle. La décision de lui accorder la missio (la grâce), ou de le mettre à mort, était prise par l’empereur ou l’organisateur des jeux. Le peuple pouvait influencer la décision en acclamant ou huant les protagonistes.

Les gladiateurs incarnaient la force, le courage face à la mort, la bravoure et l’honneur: toutes des vertus romaines « par excellence ». Ils étaient si admirés et populaires, que certains jeunes romains rêvaient de devenir des combattants de l’arène. L’expression de ces valeurs typiquement romaines dans ces combats étaient si populaires auprès du peuple et des classes dirigeantes, que ces derniers déployaient des moyens considérables pour en offrir. Même si les gladiateurs étaient généralement des prisonniers de guerre, des esclaves ou des criminels condamnés, certains étaient volontaires. En renonçant à leurs droits d’hommes libres, et à condition d’avoir une bonne forme physique, ils pouvaient rejoindre un ludus (caserne de gladiateurs). Les gladiateurs étaient en quelque sorte des sportifs, qui bénéficiaient de soins médicaux et étaient soumis à un régime alimentaire strict. Chaque victoire leur apportait de l’argent et ils pouvaient espérer obtenir leur liberté au bout d’un service de cinq ans, à condition qu’ils survivent jusque-là.

Malgré tout ce que les gladiateurs pouvaient représenter à l’intérieur de l’arène, en dehors ils étaient considérés, tout comme les acteurs, prostituées et lanistes (lanistae, maîtres de gladiateurs), comme « infâmes ». Ils étaient de ce fait repoussés à la marge de la société et dépourvus de privilèges légaux, politiques, et sociaux. C’est tout le paradoxe du gladiateur, qui renvoie d’une part l’image du combattant fort, courageux et adulé dans l’amphithéâtre et, d’autre part, celle d’un homme exclu de la société, d’un paria privé de droits.

La lampe à huile

Le premier objet que nous avons choisi de vous présenter est une lampe à huile découverte à la Rue du Collège en 1901. Utilisées pour éclairer l’intérieur des maisons, souvent ornées de scènes imagées, ces lampes illustrent les goûts, les préoccupations et les tendances des Anciens. Celle-ci représente un combat de gladiateurs, un duel entre un thrace et un mirmillon. Il existe six types de gladiateurs: le rétiaire, le secutor, le mirmillon, le thrace, l’hoplomaque et le provocator (cf. tableau ci-dessous). Ici, nous reconnaissons facilement le combattant de gauche, grâce à la lame courbe de l’arme typique du thrace. Pour le combattant de droite, c’est plus difficile car les équipements du mirmillon et du secutor sont proches. Qu’est-ce qui nous permet donc de l’identifier? En fait, les couples de gladiateurs s’affrontaient dans des duels strictement réglementés et nous savons que le thrace affrontait exclusivement le mirmillon.

Type de gladiateurAdversaire
Rétiaire
Sans casque, sans bouclier, filet, trident, plaque de métal sur l’épaule gauche
Secutor
Secutor
Casque arrondi pour empêcher le filet du rétiaire de s’accrocher, grand bouclier, courte épée (gladius), jambière, bras protégé
Rétiaire
Mirmillon
Casque, grand bouclier rectangulaire, courte épée (gladius), un bras protégé, ainsi que sa jambe d’appui
Thrace ou hoplomaque
Thrace
Casque, bouclier léger, lame courbe, une seule protection au niveau du bras, collant rembourré et de longues jambières
Mirmillon
Hoplomaque
Casque, bouclier petit et rond, lance, dague, longues jambières, une seule protection au niveau du bras
Mirmillon
Provocator
Casque dépourvu de bords et de cimier, grand bouclier rectangulaire, épée courte (gladius), une jambière, le bras armé est protégé
Provocator

La perle en ambre

Le deuxième objet est une petite perle en ambre découverte en 2001 à la Rue de la Porcelaine. Ce pendentif représente une tête de gladiateur, un secutor d’après la forme du casque. Ce magnifique bijou devait appartenir à une habitante de Noviodunum. Nos sources montrent bien que les gladiateurs fascinaient et que les femmes n’étaient pas insensibles à leurs charmes. Juvénal raconte même que la femme d’un sénateur respecté est tombée amoureuse d’un gladiateur et qu’elle a quitté mari et enfants pour fuir en Égypte avec son amant (Juvénal, Satire, VI, 82-87).

Ces deux objets retrouvés à Nyon témoignent de la notoriété générale des spectacles de l’amphithéâtre et de la popularité des combattants, auprès des habitants de la Colonia Iulia Equestris. Avec cette lampe et cette petite perle, des objets intimes de la vie quotidienne, nous tissons des liens directs avec les anciens habitants de notre ville, au-delà des témoignages officiels et politiques, qui nous rapprochent un peu plus de leur réalité. Et celle-ci s’inscrit bien dans le rôle d’image de Rome en province que jouait la Colonia Iulia Equestris.

Izmini Farassopoulos Musée romain de Nyon, 2020