Les statuettes de la Duche

Des statuettes inattendues

Apollon, Vénus et Hécate, trois divinités, trois statuettes en bronze découvertes à Nyon dans le quartier de Rive. Quelle est leur histoire?

2005, le chantier du parking souterrain de la Duche est sur le point de débuter, mais il faut avant tout procéder à des fouilles archéologiques. Nous sommes à Nyon, ancienne colonie romaine, et la probabilité de découvrir des vestiges est très élevée. Sur le versant de la colline, que surplombe le Château de Nyon, une route, des canalisations et l’esquisse de deux bâtiments voient le jour sous les coups de pioche et le grattement des truelles des archéologues. Dans la couche de démolition d’une canalisation datée du 3e siècle après J.-C., à l’arrière d’un édifice richement décoré, apparaît la silhouette verdâtre de la statuette en bronze d’Apollon, puis celle de Vénus juste en-dessous, et enfin celle de la déesse Hécate.

Apollon, l’archer, représenté nu, tient dans sa main droite une patère, récipient qui servait à présenter des offrandes aux divinités, et dans sa main gauche un bouquet de laurier. Un carquois est accroché dans son dos. Archer, vous avez dit? Mais dans ce cas, où se trouve donc son arc? Le rameau de laurier est en effet un ajout en argent. Il pourrait indiquer qu’à l’époque déjà, la main tenant l’arc a disparu suite à une cassure et celle-ci aurait été remplacée par une main tenant le bouquet. Mais Apollon, dieu des arts, de la raison et de la clairvoyance, est également connu en tant que porteur de laurier, symbole de victoire, et le choix de l’argent pourrait simplement indiquer une volonté de mettre en valeur cet attribut.

Vénus, déesse de l’amour et de la beauté, est représentée nue, elle aussi. Elle tient dans sa main droite un miroir et de sa main gauche, elle replace une mèche de cheveux sur son épaule, des gestes encore familiers à nos yeux d’habitants du 21e siècle. Vénus est très présente en Gaule romaine. Un grand nombre d’effigies en terre cuite y ont été découvertes et Nyon ne fait pas exception. Elle est cependant bien plus rare sous la forme de statuette en bronze, et encore plus d’une facture de telle qualité.

La déesse Hécate, originaire de Thrace, partie orientale des Balkans actuels, est très rare sous nos latitudes. Elle l’est d’autant plus sous cette forme à triple corps: trois femmes appuyées contre une colonne regardant chacune dans une direction différente. L’une s’apprête à sacrifier un chien, l’autre porte une cruche et une patère destinées aux libations, tandis que la dernière brandit une torche, une demi-lune ceinte sur son front. Autour d’elles, et sur le socle, sont représentés objets et animaux en lien avec son culte: serpent, tortue et lézard, fruits, pain et arbre identifié comme un pin… tous des symboles qui ont un lien avec la fécondité. Déesse liée aux Enfers, magicienne mystique, maîtresse des carrefours, l’Hécate dépeinte sur cette figurine semble symboliser une facette plus heureuse: celle de la fertilité et de l’abondance.

Les trois statuettes de la Duche ont manifestement été déposées volontairement dans la canalisation qui devait déjà être à moitié détruite en ce 3e siècle après J.-C. À cette époque, de tels objets sont généralement exposés dans un laraire, petit autel domestique présent dans chaque habitation romaine. Les divinités représentées jouent ainsi le rôle de gardiens de la famille et de la maisonnée en échange d’offrandes régulières.

Des indices permettent d’esquisser les contours de l’identité du propriétaire de ces statuettes: au vu de la qualité d’exécution et la finesse des statuettes, sa famille a dû bénéficier d’une certaine prospérité. De même, la présence d’Hécate semblerait indiquer que le propriétaire aurait été originaire des Balkans ou un militaire ayant servi sur la frontière danubienne.

Que font donc Apollon, Vénus et Hécate dans une couche d’abandon d’un égout? Était-ce une cachette pour les protéger d’un danger? Leur propriétaire avait-il l’intention de les récupérer lorsqu’il les a enfouis? Autant de questions auxquelles il est impossible de répondre, mais qui permettent d’imaginer un instant furtif de la vie de ces objets, passant du centre de l’attention de la maisonnée à l’oubli d’un remblai de canalisation.

Malika Bossard Musée romain de Nyon, 2020