L’aqueduc de Nyon

L'eau, garante de la vie

Aqueduc, La Petite Prairie, Nyon, 2013 © Archeodunum SA

Au fil de l’Histoire, l’humain a toujours choisi de s’établir près de l’eau; pour la survie, l’agriculture, le commerce ou encore la protection. Durant la période romaine, l’eau est recherchée, vénérée, canalisée ou même exhibée et la colonie de Nyon ne fait pas exception. Aqueducs, fontaines monumentales et thermes étaient les emblèmes du savoir-faire de l’Empire, de sa richesse et de son mode de vie érigé en modèle.

Les Romains se rendaient chaque jour aux bains, pour se laver, discuter entre amis, se détendre, tenir des réunions, écouter les ragots, faire du sport… Ces infrastructures nécessitaient une énorme quantité d’eau, puits et citernes ne suffisaient pas, c’est pourquoi des conduites spéciales, les aqueducs, furent construites. À Rome, ville très peuplée comprenant de nombreux bains et latrines (toilettes) publiques, la précieuse ressource était ainsi amenée depuis les sources de Tivoli, à 20 km. Au 3e siècle après J.-C., la capitale comptait onze aqueducs.

Un service spécialisé, dirigé par le curator aquarum, curateur des eaux, et une grande équipe (jusqu’à 700 employés) gérait ces conduites, leur entretien et la répression des fraudes. Le premier curateur fut Agrippa, le bras droit d’Auguste, en 33 avant J.-C. Il fit ériger des thermes publics et gratuits (véritable événement), des aqueducs, des fontaines et rénova installations et égouts. Il s’agissait d’une politique d’entretien public visant à embellir la capitale, contenter le peuple et asseoir le pouvoir de celui qui devait s’imposer comme le premier empereur.

La Colonia Iulia Equestris, la ville de Nyon antique, construite à l’image de Rome, acquit très probablement son aqueduc au Ier siècle après J.-C. Observons donc cet exemple, dont une maquette du musée expose la construction.

Pour réaliser une telle conduite, il s’agissait de trouver une source de qualité, abondante et à une altitude plus élevée que la ville, pour permettre un écoulement par gravité. L’eau de Nyon était captée dix kilomètres plus loin, à Divonne-les-Bains (non, ce n’est pas une coïncidence).

Plusieurs tronçons de l’aqueduc ont été retrouvés lors de fouilles archéologiques sur des zones menacées de destruction par des travaux de construction. Si la structure de l’ouvrage n’a pas pu être laissée visible, son tracé est cependant indiqué par une ligne dans l’herbe du terrain de football du quartier du Cossy.

La conduite était enterrée à une cinquantaine de centimètres sous le sol. L’eau s’écoulait sur un dallage en tuiles recouvert par une voûte (élément type de l’architecture romaine permettant de supporter des charges importantes). Les arches et ponts (comme le Pont du Gard) étaient longs et coûteux à réaliser. Les aqueducs étaient de préférence souterrains (ce qui protège mieux l’eau des saletés, des vols, du gel et de l’évaporation).

Sur la maquette, on voit des ouvriers qui amènent les pierres, préparent les tuiles et le mortier avant de construire la structure. La maquette illustre également des sortes de puits qui permettaient autrefois d’accéder à la conduite pour la nettoyer et la réparer.

Durant son parcours, la pente était précisément calculée; suffisamment forte pour permettre l’écoulement, mais pas trop, afin d’éviter une pression trop importante qui fragiliserait la construction. On perd la trace de l’aqueduc après l’actuelle route de St-Cergue, mais il devait arriver en ville dans un château d’eau.

Ensuite l’eau allait en priorité aux fontaines et latrines publiques, puis dans les thermes et industries et finalement chez les citoyens pouvant se payer des tuyaux privés et la redevance. Les fontaines publiques étaient également utiles pour lutter contre les incendies, fréquents dans des villes densément peuplées où éclairage, cuisine, chauffage et industries nécessitaient du feu.

En ville, les conduites étaient souvent en pierre, en bois ou en terre cuite, car le métal coûtait cher. Le risque sanitaire lié aux tuyaux en plomb était presque inexistant car, pour provoquer une réaction néfaste, l’eau doit stagner dans les conduites; or, celle de l’aqueduc coulait en continu, de plus du calcaire se déposait rapidement dans les tuyaux, isolant métal et eau.

Enfin, il s’agissait d’évacuer toute cette eau, car les rues étaient inondées par le trop-plein s’écoulant des fontaines et bâtiments. Des conduites d’évacuation drainaient les eaux usées vers un grand égout. À Nyon, cette conduite se cache encore sous la Grand Rue actuelle. Le point final du parcours était le lac Léman.

Parfois, les ouvrages utiles et remarquables sont aussi les plus discrets. L’aqueduc enterré, invisible, prouve la compétence de l’ingénierie civile romaine. Il permit aux villes de croître, comme le non moins secret et efficace système d’égouts lavant la cité de ses déchets.

Un auteur romain écrivit: « Aux masses si nombreuses et si nécessaires de tant d’aqueducs, allez donc comparer les pyramides qui ne servent évidemment à rien ou encore les ouvrages des Grecs, inutiles, mais célébrés de partout » (Frontin, de aquaeductibus urbis romae, XVI, 1). Pour comprendre ce texte, il faut savoir que son auteur, Frontin, fut curateur des eaux à Rome et que ce traité expliquait tous les aspects de son travail. Référence en la matière, il était mandaté à cette charge par l’empereur et il prêche donc pour sa paroisse.

Bien entendu, aqueducs, thermes, latrines et égouts ont aidé l’essor de la civilisation et de l’Empire romain en améliorant le quotidien, l’hygiène, la sécurité et l’industrie. Cette culture a laissé des traces au-delà de l’Europe, elle influence et impressionne encore aujourd’hui par la maîtrise qu’elle avait dans bien des domaines, en permettant de nous faire réfléchir à la nôtre.

Sylvie Gobbo Musée romain de Nyon, 2020